Chauffeur-livreur au moulin Bardin

Pierre, était chauffeur-livreur d’un camion SAURER à gazogène chez Monsieur Guitard, meunier du moulin Bardin à Amilly, une journée ordinaire dans les années 1940.
Pierre rentre au Moulin Bardin, il est 17 h, aujourd’hui, malgré le froid, il a pu livrer 3 tonnes de farine à Briare, sans incident. Maintenant il faut attendre que son camion refroidisse afin de décrasser le foyer. En effet, en ces temps difficiles, son camion, un Saurer à gazogène de 5 tonnes de charge datant de 1925, pas tout jeune, qu’il faut l’entretenir, il aime son camion. µ
« Pierrot, en attendant que le gazo refroidisse, tu charges les 5 tonnes de farine, c’est pour la boulange de Corbeil-Essonnes, rue de Paris » ;
« Hoooooo, j’aimerai bien boire un coup avant, moi, je dois me réchauffer !! » ;
« Ben, tu te réchaufferas à charger le camion ».
En grimaçant, Pierre charge les 50 sacs de 100 kg dans la benne du camion
Allez maintenant que c’est chargé, un p’tit coup d’rouge et en route pour l’entretien du gazo, encore pour une bonne heure de travail,
Sortir la grille, évacuer toute la braisette, le mâchefer et le bois qui n’a pas encore été brûlé, s’assurer que tout l’aggloméré de cendre est sorti. Après un rapide nettoyage, il recharge la trémie de braisette, puis le bois à demi consommé et il finit de remplir avec du menu bois cru. En même temps, Pierre a vidangé le caisson refroidisseur et s’assure que les trous d’évacuation ne sont pas bouchés.
Bon, maintenant à la soupe pour un repos bien mérité.
3 heures du matin, il fait froid, Pierre, avec sa grosse veste en cuir élimé, allume le gazo en jouant sur les manettes d’avances à l’allumage, le démarrage se fait à l’essence, il faut connaître la bête pour la faire fonctionner, le gazo est chaud, il ouvre le papillon, le moteur répond, accélère et ouvre l’air, ferme progressivement l’essence et il augment l’avance à l’allumage, et c’est parti…. 3 h 50, Pierre passe la première, ça craque mais c’est normal, les syncro sont inexistants, la cabine vibre, sans chauffage, on se les gèle malgré le gros cuir, Pierre installe même une couverture de laine sur les genoux, le siège n’est pas très confortable, et il faut être costaud et avoir un certain doigté pour manoeuvrer cet énorme volant sans direction assistée, et notre Pierrot, c’est un costaud, baraqué, un homme, un vrai !!!
Malgré le brouillard, et l’inefficacité des essuie-glaces, Pierre traverse Montargis, la rue Dorée à peine éclairée, il faut être vigilant, ce n’est pas les phares de son camion qui vont l’aider, le nez sur le petit pare-brise, le Saurer fonce à plus de 40 km/h vers Cepoy.
La traversée de nuit, quasiment sans éclairage public, les usagers sans lanterne, le mauvais état des routes sont autant de difficultés, et les freins du camion sont inefficaces, surtout avec les 5 tonnes de farine sur le plateau.
Dordives, Souppes, Nemours, croisement avec une dizaine de passage à niveau, voici l’obélisque de Fontainebleau, dressé en 1783 en l’honneur de Marie-Antoinette au carrefour des routes de Lyon, arrêt obligatoire car après, il y a la longue côte de Fontainebleau, et il faut recharger le gazo car là, il faut la pleine puissance autrement, arrêt au milieu de la côte et c’est la catastrophe.
La côte se franchit à fond, à moins de 6 km/h, Pierre se balance sur son siège d’avant en arrière, il a l’impression d’aider son engin à monter. Ouf, ça y est, maintenant tranquillement Pierre continue sa route, petit coup de klaxon en passant devant le « Rendez-vous des cycliste » à Ponthierry, c’est le rendez-vous de tous les chauffeurs livreurs qui remontent sur la capitale. Au retour de Corbeil-Essonnes, notre Pierrot se restaurera.
Encore la cote de Corbeil, et Pierre arrive à destination, La boulange et les trois arpètes déchargent le camion, même à 15 ans, ils ne lambinent pas, il faut porter les sacs.
Pierre est content, il a tenu sa moyenne, 21 km/h, maintenant retour, la cote de Corbeil est descendue en seconde, au frein-moteur, il sera à l’heure pour le deuxième service au Routiers Ponthierry.
Retour au Moulin Bardin vers 18 h, et Pierre préparera le Gazo pour le lendemain.

Camion Saurer à gazogène (Les gazogènes)
Camion Saurer à gazogène (BNF)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *